J’aime lire les textes de Michel Onfray, ou écouter ses interventions video. Je partage souvent ses points de vue et quand ce n’est pas le cas, il m’invite toujours à la réflexion.
Mais me voici perplexe au sujet de cet article à propos de Greta Thunberg (voir https://michelonfray.com/interventions-hebdomadaires/greta-la-science). Si je reconnais le style, il me semble un peu trop expéditif sur le fond.
En voici la raison, étayée par le commentaire de quelques extraits de ce texte.
« Quelle âme habite ce corps sans chair? On a du mal à savoir… »
Ben tant pis, est-ce si grave ! D’autant qu’on est tous amenés à imaginer l’âme qui habite un corps, et on aura tous des avis différents pour un même corps. Exercice: demander à plusieurs personnes quelle âme habite le corps de quelqu’un de connu (Macron, Obama, Merkel, Redford, Delon, etc…)
« Elle sèche l’école tous les vendredis en offrant l’holocauste de ce qu’elle pourrait apprendre à l’école pour sauver la planète. »
Même les gens très intelligents ont encore la naïveté de croire qu’on apprend à l’école quoi que ce soit pour sauver la planète !!!
« Est-ce que ce sera suffisant? Vu la modestie de l’offrande, je crains que non… »
Je partage cette opinion. Mais je ne l’associe pas à la modestie de l’offrande. Je l’associe à d’autres forces en jeu, et en activité depuis des siècles: l’avidité des groupes de pouvoir.
« Trop contents de ce magnifique prétexte pour ne pas aller au collège, un troupeau de moutons de cette génération qui se croit libre en bêlant le catéchisme que les adultes leur inculque, propose de suivre son exemple et offre en sacrifice expiatoire la culture qu’elle n’a pas, mais qu’elle pourrait avoir – si d’aventure elle allait à l’école, encore que, si c’est pour y apprendre les billevesées gretasques… »
Encore une fois, je me permets de mentionner cette grande naïveté concernant l’école: la culture et l’esprit critique !!! mais on rêve. Il y a bien longtemps que ce n’est plus le cas. L’école est faite pour former à des techniques et des métiers, on apprend les maths ou les sciences parce qu’on va devenir matheux ou scientifique, mais pas parce qu’on veut réfléchir et analyser. On est actuellement dans une période productiviste de masse, et l’enseignement doit répondre à « A quoi ça sert en pratique …? ». Et n’ayons pas l’outrecuidance de répondre « à réfléchir », car personne ne comprendra …
« La cyborg suédoise a même annoncé qu’elle prévoyait de prendre une année sabbatique pour sauver la planète! En effet, pourquoi apprendre des choses à l’école quand on sait déjà tout sur tout? La preuve, plume à la main, le soir dans son lit, elle lit avec passion les volumineux dossiers du GIEC dont elle débite les chiffres, donc la science, avec une voix de lame de fer – jadis, c’était Rimbaud ou Verlaine qu’on citait quand on n’avait pas dix-sept ans… »
Quel doute bizarre sur la capacité des gens à être autodidactes (pourtant, si je ne m’abuse, Michel Onfray est en partie autodidacte). Faut-il vraiment croire que l’apprentissage par soi-même ne puisse déboucher sur rien d’intelligent? LA Science (que Michel Onfray a l’air de dénigrer, et je le comprends quand on voit qu’elle devient le grand maître à penser de notre société technocratique) et l’Art sont deux domaines où les autodidactes sont nombreux. De plus, Greta connaît peut-être bien quelques poèmes, pas nécessairement de Rimbaud ou Verlaine, mais il n’y a pas qu’eux au monde … Elle n’a pas nécessairement envie de déclamer.
« Quelle intelligence est celle de ce cyborg? On ne sait… Ce qu’elle lit, à défaut de le dire librement, n’est pas écrit par une jeune fille de son âge. La plume sent trop le techno. Sa voix porte le texte d’autres qui n’apparaissent pas. Qu’est-donc d’autre qu’un cyborg, si ce n’est le sujet d’acteurs invisibles? Cette intelligence est vraiment artificielle, au sens étymologique: c’est un artifice, autrement dit, un produit manufacturé. Toute la question est de avoir par qui. Or, la réponse est simple, il suffit de se poser une autre question: à qui profite ce crime? La réponse se trouve probablement dans l’un des dossiers du GIEC – la bible de cette pensée siliconée. »
Admettons ici qu’il s’agit d’une hypothèse très personnelle. Néanmoins, j’admets assez volontiers que ses textes ont probablement été relus par des proches, n’importe qui le fait. Maintenant aller dire que rien ne lui est personnel, je laisse cette position extrême et subjective à Michel Onfray. Je lui laisse aussi l’hypothèse complotiste quant aux motivations: elle aurait été téléguidée par … Pourquoi pas? J’aime assez les complots. Mais si il y a eu influence, j’ai plutôt l’impression qu’il s’agit de la déformation habituelle que nous subissons tous par notre éducation.
« Que dit ce corps qui est un anticorps, cette chair qui n’a pas de matière, cette âme qui fait la grève de l’école, cette intelligence ventriloquée? Ce que les adultes de la bienpensance progressiste débitent depuis des décennies. »
Là, je décèle comme une escalade d’exaspération qui se traduit par un monceau de qualificatifs divers et pittoresques. C’est un trait de littérature assez divertissant. Pour le reste, le fond ?
« Cette jeune fille de seize ans qui prévoit de ne plus aller à l’école, puisqu’elle parle au nom de la science, ignore qu’un philosophe qui s’appelle Hans Jonas a rédigé il y a bien longtemps le logiciel avec lequel fonctionne son intelligence artificielle. »
Et on peut vraiment croire qu’elle pourrait apprendre ça à l’école? C’est vrai qu’on peut aussi croire au Père Noël.
« Ce cyborg post-capitaliste parle en effet au nom de LA science. Mais, du haut de ses seize ans, que sait-elle de l’astrophysique, des cycles cosmiques, des orages solaires et de leurs cycles, autant d’informations qui relèvent aussi de la science, mais auxquelles ni elle ni les siens ne font jamais référence quand il s’agit de penser la question du réchauffement climatique – une incontestable vérité: il n’y a pas à douter de ce fait mais des causes que certaines en donnent. »
C’est un peu court jeune homme, pour paraphraser Rostand. Mais encore … Très habile de laisser planer un doute, ça fait encore très complot.
« Pour Greta Thumberg, il semble que LA science se réduise au compendium de passages à réciter, hiératique comme dans une cour du palais des papes planétaire, après prélèvement des phrases stabilotées dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. »
Mmm, Michel Onfray n’aime pas du tout le GIEC, et c’est tout à son honneur. Un peu trop à la botte des gouvernements.
« « Nous les enfants » , dit-elle quand elle parle! Quelle civilisation a jamais pu se construire avec des enfants? C’est le monde à l’envers! Qui plus est: avec des enfants expliquant aux adultes qu’il n’ont rien à faire des cours qu’ils leurs dispensent et que, de ce fait, ils entendent prendre une année sabbatique avant même d’avoir obtenu le brevet des collèges? C’est vouloir entrer dans le monde du travail en commençant par plusieurs années de retraite! Il est vrai que le coeur du projet présidentiel du « socialiste » Benoit Hamon… »
Je ne reviens pas sur cette naïveté de croire à la qualité de la dispensation de savoir … à l’école ou ailleurs.
« Il n’y a rien à reprocher à une enfant qui veut voir jusqu’où va son pouvoir d’agenouiller les adultes, c’est dans l’ordre des choses. Le pire n’est donc pas chez elle, elle fait ce que font tous ses semblables, «
Si Michel Onfray croit vraiment cela, pourquoi tant d’animosité à la décrire comme un cyborg ceci ou cela, avec pléthore de qualificatifs? OK, reconnaissons que c’est jouissif … D’aucuns jouissent par le fouet et l’humiliation, d’autres par la production abondante de comparaisons cybernétiques, … mais suscitant néanmoins la réflexion. Et c’est ce qui compte en fin de compte.
Pour conclure, j’aimerais partager un lien qui reflète mon opinion: https://mrmondialisation.org/greta-thunberg-lhistoire-dune-hysterie-collective
Quant à moi, vous l’aurez compris, j’admire l’engagement de cette jeune fille, et de tous ces jeunes qui la soutiennent et la suivent. Je ne sais pas si ça débouchera vraiment sur un changement rapide, vu le poids des groupes de pressions en activité, mais au moins, par leur mouvement, ils obligent chacun à se poser des questions et à se rendre compte que, finalement, beaucoup d’autres sont d’accord avec ces positions. Si on ne dit rien et on ne fait rien, on ne sait pas combien d’autres pensent la même chose, et on ne se rend même pas compte qu’on est peut-être nombreux et que ce nombre peut faire basculer la balance dans le jeu politique. Dans le fond, les politiciens doivent aussi rendre des comptes à leurs administrés, et si ceux-ci sont nombreux à manifester dans un certain sens, à la longue, ça peut les obliger à en tenir compte non? Bon, là, peut-être que je rêve … Mais qui sait?